Frankenstein



    Frankenstein ou le Prométhée moderne est un roman de Mary Shelley paru en 1818 et s'inscrivant dans le genre gothique, bien que l'idée du glavanisme évoque plutôt la science-fiction. Je trouve le contexte d'écriture intéressant : rappelez-vous, la maison au bord du lac Lénan, Percy Shelley, Lord Byron, Polidori...
    Je ne vous résume bien sûr pas l'histoire, mais je me permets un petit rappel : Frankenstein est le nom du savant, pas celui de la créature! Je me sens obligée de vous répéter ça, tellement j'entends cette déformation, que ce soit dans certains films, comme celui de James Whale, ou tout simplement par les personnes qui ne se donnent pas la peine de connaître cette très belle œuvre.
     Le roman débute par le récit de l'expédition polaire de Robert Walton, qui contient celui de Frankenstein, qui lui-même contient l'histoire de sa créature... Pour faire plus simple, Walton raconte comment il a rencontré le professeur Frankenstein, qui lui raconte ensuite son histoire, jusqu'au moment où il revoit sa créature après l'avoir abandonnée, à qui il cède sa place de narrateur pour quelle raconte également son histoire.

     Le but de cet article, je vous l'avoue, est de pester contre le personnage du Dr Frankenstein et réhabiliter sa créature. (Évidemment, il ne s'agit que mon point de vue!) Pour moi, le savant est le monstre et non l'inverse : qui abandonne la créature dès sa conception? Qui la laisse seule, sans ressources, et surtout sans affection? Loin de moi l'idée d'accentuer le côté pathos du roman, mais je pense que le créateur ne peut s'en prendre qu'à lui-même : il a voulu satisfaire sa curiosité scientifique sans tenter d'envisager les conséquences et, une fois la haine de sa créature déclenchée, n'a pas essayé de la comprendre.
    La créature, ce soi-disant monstre, est au contraire très intelligente et sensible : elle parvient, seule, à acquérir les capacités intellectuelles humaines ; elle éprouve de l'affection et de la peine, ce qui pour moi prouve qu'elle n'est pas différente de nous. On perçoit sa sensibilité au moment où elle raconte comment elle a passé des mois entiers à observer la vie de deux habitants d'un chalet. De même, on ressent sa peine lorsqu'elle se rappelle la façon dont ils l'ont rejetée quand elle s'est montrée à eux, simplement à cause de son apparence particulière. Sa souffrance est d'autant plus forte que ce sont ces deux personnes qui lui ont indirectement appris tout ce qui faisait un être humain, non seulement en termes de capacités intellectuelles, puisque la créature apprend à parler en les observant, mais aussi en ce qui concerne la dimension affective : elle apprend à reconnaître les émotions diverses que peuvent ressentir les humains.
   Rappelez-vous également le récit qu'elle fait au professeur lors de leur première réelle rencontre, quand elle tente de lui expliquer pourquoi elle a tué l'enfant. Je ne prétends pas défendre cette tuerie, d'autant plus qu'elle a récidivé, mais essaye seulement de comprendre le personnage, et je suppose que c'est ce qu'a voulu Mary Shelley. La créature explique qu'elle a délibérément tué l'enfant dans le but de faire partager sa souffrance à son créateur qui l'a abandonné et lui demande la raison de ses agissements : pendant ce temps, Frankenstein ne cesse de se dérober et de chercher des excuses à sa curiosité insouciante.
    La créature a réclamé une compagne à Frankenstein, et on ne peut pas ignorer que la solitude est une souffrance atroce pour elle, qui ne reproche rien de plus à son créateur que son abandon, ce qui me paraît tout à fait légitime. J'ai trouvé ce dialogue très fort, mais aussi très éprouvant car j'ai été atterrée de voir que Frankenstein n'a même pas pris la peine de l'écouter.  Si j'ai choisi cette couverture en illustration, c'est à cause de la mention "si je ne peux susciter l'amour, je causerai la peur", qui résumerait presque l'esprit de la créature et sa frustration de ne pas être aimée.

    à l'écran : 

    J'avais également envie d'évoquer l'adaptation du réalisateur James Whale, sortie en 1931. Je l'ai trouvée très bonne en tant que film d'horreur classique, mais justement : je ne considère pas la créature de Frankenstein comme digne de figurer dans une simple histoire effrayante. La vision de Whale m'a parue très simpliste : pour lui, la créature est un monstre, point barre. On le voit déjà au moment où le professeur et son assistant tentent de dérober le cerveau à l'université, en vue de l'incorporer à la créature : l'assistant se trompe et prend, entre le cerveau "neutre" et celui de "criminel" , le cerveau  "mauvais". Je ne pense qu'il y ait une différence fondamentale entre les deux, mais le film date des années 30, où ils n'avaient pas les mêmes connaissances. Ceci implique que la créature était destinée à être mauvaise, ce avec quoi je ne suis pas du tout d'accord, même si cette explication vaut sans doute mieux que celle qui consisterait à dire que la créature ne pouvait qu'être mauvaise à partir du moment où elle n'a pas été conçue de manière naturelle. Le problème est que cette hypothèse se retrouve elle aussi dans la suite du film : on suppose que l'acte du docteur Frankenstein est purement criminel et ne pouvait donner rien de bon. Jamais il n'est envisagé que le créateur puisse être bienveillant envers une créature qui n'est pas présentée autrement que comme une brute épaisse et sans cervelle...

     En ce sens, j'ai adoré la pièce de Nick Dear, mise en scène par Danny Boyle en 2011, avec Jonny Lee Miller et Benedict Cumberbatch tour à tour dans les rôles de Victor Frankenstein et de sa créature. L'idée de permettre aux deux acteurs principaux d'inverser les rôles me réjouit pour l'importance que j'accorde au thème du double, qui est un de mes favoris dans le fantastique. Le respect de l'époque du roman n'a pas empêché une mise en scène très moderne, notamment avec la musique, jouée par le groupe Underworld. Ma version favorite a été celle avec J. L. Miller dans le rôle de Frankenstein et B. Cumberbatch dans celui de la créature, c'était pour moi dans cette répartition que les deux acteurs étaient le plus à leur avantage - c'est un avis tout à fait personnel.
   La pièce ne suit pas la chronologie du roman et s'ouvre sur la venue à la vie de la créature, qui est une des scènes qui ménage le moins les spectateurs : on la voit se convulser, ramper, tenter de se relever, et cela dure bien presque dix minutes. C'est une scène très éprouvante, que j'ai trouvée géniale dans le sens où elle cadrait parfaitement avec l'atmosphère du roman, en plus d'être plutôt réaliste étant donné que notre pauvre créature venait d'avoir son corps traversé par la foudre. Le savant fou se manifeste enfin, avec un chaleureux cri lui enjoignant de disparaître, alors même que la détresse de son "expérience" est évidente.
    Les apprentissages de la créature sont montrés de manière très progressive, ce qui ajoute encore au réalisme : l'élocution est hésitante, les gestes très maladroits. Par ailleurs, et c'est ce qui fait de cette pièce une de mes adaptations préférées, est que les moments clés du roman sont présents - et superbement interprétés, comme le séjour de la créature dans les Alpes et son premier réel contact avec d'autres humains, les meurtres de William et Elizabeth Frankenstein, et surtout, la confrontation entre le créateur et la créature...

     Puisque l'on parle d'adaptations réussies, je ne pouvais pas écrire cet article sans aborder la série Penny Dreadful. Je ne pourrai malheureusement pas entrer dans les détails de peur de spoiler certains aspects, mais de même, les personnages de Victor Frankenstein (Harry Threadaway) et de sa créature sont superbement interprétés. Le scénariste John Logan a pris des libertés quant au roman mais elles servent très bien l'ensemble de l'intrigue.
    à voir si ce n'est pas encore fait, tant cette série se démarque par la qualité du scénario et de l'écriture. 

    J'ai bien conscience que le récit de Shelley traite de bien plus que ce que je viens de dire, que Frankenstein symbolise dieu et l'expérience du savant sa créature en général, mais n'étant pas ici pour faire de la théologie de comptoir, je passe sur se sujet. Le but de cet article était essentiellement de vous montrer la créature de Frankenstein sous un autre aspect que celui d'un monstre stupide et insensible.

     Vous pouvez regarder ici le film de James Whale : jugez par vous-mêmes.
    Le roman de Mary Shelley a été adaptée en plusieurs films par Terence Fisher (entre autres), le réalisateur du Cauchemar de Dracula, en 58 et de Dracula, Prince des ténèbres, avec le regretté Christopher Lee. Pour ce que je connais de Fisher, je suppose que cette version-là est un peu plus profonde que celle de Whales...
    Une série où l'intrigue est transposée au XXIè siècle devrait voir le jour, portée par le réalisateur Michael Cuesta (Homeland). Je vous avoue que je suis assez curieuse, n'hésitez pas si vous avez des informations!

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